un soutien psychologique par capillarité ? – Libération


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un soutien psychologique par capillarité ? – Libération

Paris, France

Donc, les salons de coiffure resteront ouverts, parce qu’essentiels. Plus exactement : parce qu’ils bénéficient d’une dérogation, au sein des commerces classés «non essentiels». Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, a d’ailleurs précisé que cette faveur serait assortie d’«un protocole sanitaire particulier». En clair, ça se joue à un cheveu, pour les as des ciseaux.

Pourquoi cette exemption ? L’explication n’a pas été donnée. Mais, spontanément, on voit des arguments. Certes, les coiffeurs exercent dans des lieux clos, mais dont les surfaces sont généralement réduites – comme, partant, le nombre de clients. Sachant que la fréquentation et les chassés-croisés sont aussi contrôlables en amont par la prise de rendez-vous. Ensuite, depuis leur réouverture, les salons de coiffure sont comme tous les commerces déjà soumis à un protocole précis (jauge, désinfection du matériel, ventilation, gel hydroalcoolique à l’entrée, port du masque), et ils peuvent se prévaloir de spécificités : la pratique réduit le risque de face-à-face (hormis pour la frange, mais peut-être sera-t-elle exclue par le protocole sanitaire, comme les couleurs qui supposent un long temps de pose ?), et le duo est pour moitié (le coiffé) statique, sagement assis, index et majeur croisés pour conjurer l’éventuel ratage. Par ailleurs, le protocole sanitaire pourrait aussi prévoir que le coiffeur parle le moins possible, pour éviter la projection de gouttelettes. Le silence collatéral pourrait soulager un certain nombre de clients.

Saturniens

Mais un autre argument est envisageable, celui du «care» (le soin, l’attention), à double titre. En épargnant les coiffeurs, l’exécutif manifesterait sa préoccupation pour le bien-être psychologique des Français, notoires saturniens que la pandémie anxiogène a encore assombris. Cette fragilité morale est notamment attestée par un bond des consultations psy, des syndromes dépressifs, de la prise d’anxiolytiques. Or le cheveu véhicule tout l’inverse, comme le rappelle le magazine LiveCoiffure : «En plus de symboliser la force, la santé les cheveux sont aussi liés à la séduction, la sexualité, la virilité, la fertilité». Et le magazine Psychologies souligne avec émotion : «Ces poils caractéristiques de l’espèce humaine s’enracinent au plus profond du crâne pour surgir à l’air libre, tels des liens entre l’intérieur et l’extérieur de nous-même. A la fois couverture de l’invisible et parure offerte aux regards, ils sont 100 000 à 150 000, soit 200 à 300 par centimètre carré, à être ainsi l’objet de nos soins». Le même article pointe que «la séance chez le coiffeur satisfait plus de huit femmes sur dix. Elle doit les mettre en valeur pour 89 %, et 84 % en sortent avec un moral à la hausse, d’après une étude récente menée par L’Oréal.» Du coup, permettre aux habitants des zones reconfinées de continuer de prendre soin de leurs chevelures constituerait (par capillarité, donc) un soutien psychologique – et un encouragement à ne pas se laisser aller.

Mais alors, quid du poil, de l’épilation, interrogent d’aucuns ? De fait, une ruée a été observée ce vendredi dans les départements reconfinés, vers les esthéticiennes. La décision pourrait être là politique, aller dans le sens du «body positivisme» en cours. Laisser les salons d’esthéticiennes dans la case «non essentiels» signifierait un refus de l’injonction sempiternelle faite aux femmes de se débarrasser de leurs poils, laquelle est subie dès le plus jeune âge et participe au «contrôle du genre et de la sexualité», comme le souligne Miléna Younès-Linhar dans une tribune publiée en août 2019 dans Libération. On remarquera au passage qu’à l’inverse, couper ses cheveux a longtemps été considéré comme outrageux de la part d’une femme (merci les «garçonnes»), qui, pour être digne de ce nom se devait de les avoir longs – comme quoi du poil au cheveu, de la tête aux pieds, tous les moyens sont bons pour la corseter…

Cela dit, peut-être qu’on coupe les crins en quatre, que l’exécutif n’en a en réalité rien à «care», et que le lobby de la coiffure a juste très bien manœuvré. «Nés coiffés», les figaros ?


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