La mise sur pause ne passe pas


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La mise sur pause ne passe pas

Paris, France

Colère, incompréhension, déception et découragement. Les commerçants, restaurateurs, coiffeurs et propriétaires de spas de la région étaient tous habités par les mêmes sentiments, hier, au lendemain du traitement-choc imposé par le gouvernement Legault.  

L’annonce de la « mise sur pause » de la région de Québec a été difficile à encaisser pour Hugues Lavoie, propriétaire du Nordique spa et détente, à Stoneham. Son établissement affichait complet pour le long week-end de Pâques et les réfrigérateurs de son bistro santé étaient « remplis de nourriture ».  

« C’est sûr que c’est décourageant. J’avais deux nouveaux employés qui commençaient vendredi [aujourd’hui]. C’est pas évident. Mes employés sont découragés », laisse-t-il tomber, visiblement ébranlé par cette autre fermeture. 

La situation est d’autant plus difficile pour l’homme d’affaires qu’il n’a eu accès qu’à très peu d’aide du gouvernement provincial. Il déplore aussi l’incertitude que ces annonces font régner.  

« C’est dur de croire le gouvernement. On a fait le défi 28 jours, qui s’est transformé en défi de six mois. C’est difficile de savoir sur quel pied danser. J’ai chauffé mes bassins d’eau tout l’hiver en attendant une réouverture. Finalement, j’ai chauffé pour rien et ça m’a amené des frais ». 

Restaurateurs résignés 

La pilule était aussi difficile à avaler au Ristorante Il Teatro, où c’était le premier midi d’ouverture, hier. « On avait pris notre erre d’aller, c’est une autre embûche », lance Jean-Claude Crouzet, directeur de la restauration.

Même constat pour le chef Raphaël Vézina, du Laurie Raphaël, qui « doute » d’une réouverture le 12 avril. « Ç’a été une grosse erreur de rouvrir, ça engendre tellement de coûts ».

Le restaurant gastronomique avait reçu toutes ses commandes de produit frais pour la longue fin de semaine. « Sans préavis, en début de semaine, quand les frigos sont pleins, c’est le pire scénario ».  

À la brasserie sportive la Cage, Philippe Laroche s’inquiétait surtout pour la main-d’œuvre. « C’est une très mauvaise nouvelle, surtout pour nos employés, c’est un drôle de message », dit-il. 

Dans plusieurs salons de coiffure, il n’y avait pas de temps à perdre. Plusieurs clients se sont rués sur les rares places disponibles avant la fermeture.  

Le Méga fitness Gym pointé du doigt 

Si plusieurs commerçants rencontrés dans les centres d’achat étaient déçus et fâchés de la nouvelle fermeture des commerces non essentiels, d’autres étaient plus compréhensifs.  

Jean-Pierre Samson, propriétaire de la boutique TPM, Hobby & Collection, à Fleur de Lys, ne mâchait pas ses mots. « C’est irresponsable [de la part] du Méga Fitness Gym. Je suis outré ! s’indigne-t-il. On paie encore pour des gens irresponsables qui ne pensent qu’à eux sans chercher à protéger la population. » 

« C’est difficile, car c’est la fin de semaine de Pâques, c’était une grosse fin de semaine. On est encore en train de rattraper les mois fermés. Mais on n’a pas le choix », soupire Manon Bouchard, gérante de La vitrine du fait au Québec, aux Galeries de la Capitale, une boutique qui vend des produits locaux. 

—Avec la collaboration d’Elsa Iskander, Martin Lavoie et Nicolas Saillant

 Fâchés contre le Gym 

La forte éclosion au Méga Fitness Gym frustre plusieurs entrepreneurs. Certains ne se gênent pas pour pointer du doigt le manque de rigueur à cet endroit dans la situation qui les frappe maintenant.

« Le Méga Gym devrait être poursuivi. Il a fait ça intentionnellement. On peut-tu recommencer à avoir une vie ? », demande Sandra Ampleman, coiffeuse chez Coiffure Lucie Conseiller, à Québec

« Ceux qui s’entraînent au Méga Gym, ils travaillent, leur femme travaille ailleurs, leurs enfants vont à l’école. Qui a lancé ça [la recrudescence de l’épidémie] ? Ce n’est pas le seul qui ne nettoie pas ses appareils. J’en connais qui vont ailleurs et qui me le disent », renchérit la propriétaire du salon, Lucie Conseiller.

Mme Ampleman s’explique mal également de devoir payer pour les comportements des autres alors que les éclosions sont inexistantes dans son domaine.

« Regardez-moi la face, je pleure. Il n’existe aucun cas dans les salons de coiffure. On reçoit un client à la fois. On désinfecte tous nos outils. On se garde du temps pour ça. Est-ce qu’ils vont vraiment nous ouvrir dans 10 jours ? »

—Martin Lavoie

Une partie de « yoyo » loin d’être amusante  

Patrick Rake
Président du Groupe SKYSPA

« Une grande déception », lance au bout du fil le président du Groupe SKYSPA, Patrick Rake, qui possède quatre établissements au Québec, dont un au Complexe Jules-Dallaire.

« De nous ouvrir et de nous refermer comme ça après trois semaines, c’est vraiment jouer au yoyo avec nous autres. Les employés, on les fait rentrer pour trois semaines et après on leur dit good bye. Qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont s’en aller ailleurs. C’est rien pour nous aider ce qu’ils ont fait », se désole celui qui est aussi l’un des fondateurs de l’Association des spas du Québec.

Le traitement-choc imposé mercredi est « un manque de considération total pour notre business », dit-il. « Ça ne se fait pas. Ils nous le mettent dans la face en même temps que tout le monde. » 

—Simon Baillargeon

Elle déménage ses affaires en Beauce  

Marie-Ève Dufour et Annie Roberge coiffaient des clientes à Tandem Institut à Lévis, hier.

Photo Martin Lavoie

Marie-Ève Dufour et Annie Roberge coiffaient des clientes à Tandem Institut à Lévis, hier.

Sur la Rive-Sud, la proximité de zones où les mesures sont moins strictes entraîne des frustrations. Un établissement songe à louer un local dans une zone plus permissive alors qu’un autre a déjà prévu de concentrer ses opérations à l’adresse où elle pourra continuer à opérer.

« À 10 km d’ici, à Saint-Henri, ils vont continuer à travailler. On s’est dit : on va se trouver un local à Saint-Henri et on va dire à nos clients qu’on va être là pour 10 jours », réfléchit Annie Roberge, du salon de coiffure Tandem Institut, Lévis.

« J’ai des gens de Québec, j’ai des gens de la Beauce. Les couvre-feux ne sont pas pareils d’une place à l’autre. Il y a beaucoup d’incertitude chez les gens. J’ai un autre commerce en Beauce, à Sainte-Marie, alors je déménage ce soir parce que je peux pratiquer là-bas, même si mes appareils les plus technologiques sont surtout ici », explique pour sa part Annie Lapointe, propriétaire de Médico esthétique à Lévis.

Pour Tandem Institut, le reconfinement arrive à un bien mauvais moment.

« On est frustrées. On a pourtant un environnement sécuritaire. C’est tellement à la dernière minute. On avait profité du deuxième confinement pour agrandir le salon. On investit, on fait de la pub pour attirer les gens, on offre de nouveaux services. J’avais quelqu’un qui commençait à faire de la pose d’ongles aujourd’hui », regrette Marie-Ève Dufour.

—Martin Lavoie

Une boutique d’artisanat ferme ses portes 

La propriétaire de la boutique Place des artisans, Jeanne Côté, a choisi de fermer ses portes au centre commercial Fleur de Lys.

Photo Elsa Iskander

La propriétaire de la boutique Place des artisans, Jeanne Côté, a choisi de fermer ses portes au centre commercial Fleur de Lys.

Après un an de pandémie, et avec une nouvelle fermeture des commerces non essentiels, la propriétaire de la boutique Place des artisans au centre commercial Fleur de Lys, compte mettre la clef sous la porte.  

« Je suis déçue, ça allait tellement bien à l’ouverture », dit Jeanne Côté, qui avait ouvert son commerce d’artisanat à l’automne 2019. On peut s’y procurer différents produits faits de feutre, comme des foulards ou des sacs à main, et des artistes locaux y avaient aussi une vitrine.  

Des ateliers de feutre étaient aussi offerts, mais ceux-ci ont été mis sur pause afin de respecter les règles sanitaires. 

« Si je voyais une possibilité d’enseigner, peut-être, mais il n’y en a pas, surtout avec le dernier confinement », explique Mme Côté qui doit se résigner à fermer. Elle n’entend pas rouvrir un commerce semblable après la pandémie. 

« C’est triste », dit celle dont l’objectif était aussi d’intéresser les jeunes aux créations en laine feutrée.  

Si l’annonce de la réouverture des commerces non essentiels en février dernier avait été encourageante, le moral de plusieurs a désormais pris un coup, relate Mme Côté. « En ce moment, je pense que les gens n’en voient plus le bout. » 

Elsa Iskander

 

«Le pire des scénarios» 

Hugues Lavoie

Contraints de retarder l’ouverture de leur restaurant en raison de la première vague, puis de la deuxième, voilà que les propriétaires du restaurant BULLE bistro d’altitude, situé au 17e étage du Complexe Jules-Dallaire, voient l’ouverture officielle avorter une nouvelle fois avec la troisième vague.

Difficile de trouver un parcours aussi parsemé d’embûches que celui du BULLE bistro d’altitude. Alors qu’ils étaient à terminer les travaux en prévision de l’ouverture, Sébastien Goulet et Tchad Khalil se sont d’abord fait arrêter par la première vague de COVID-19. 

Puis la deuxième vague est arrivée au moment même où l’ouverture officielle devait avoir lieu, en septembre dernier. « On n’a pas eu droit aux subventions parce que ça ne faisait pas trois mois qu’on était ouvert », explique M. Goulet. 

L’ouverture officielle a donc eu lieu il y a deux semaines, le temps de s’organiser après l’annonce surprise de la réouverture des restos. Mais l’embellie était trop belle. « On l’a eu dur, avoue M. Goulet, c’est le pire des scénarios. »

À la suite de l’annonce de mercredi, les deux associés ont décidé d’ouvrir hier midi, notamment pour écouler les stocks. Mais ils ont bon espoir de traverser la crise et de reprendre leur erre d’aller lorsqu’ils regardent le livre des réservations, qui affichait complet jusqu’en mai.  

—Nicolas Saillant


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