Chantal Tabet, la chef au chapeau


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Chantal Tabet,  la chef au chapeau

Il suffit de la regarder pour saisir l’univers (artistique) qu’elle transporte avec elle et en elle d’un pays à l’autre, d’un métier à l’autre, d’un chapeau à l’autre. Comme une seconde peau, un tatouage de plus sur sa peau imprimée de moments, de couleurs et de souvenirs qui lui appartiennent. Pour Chantal Tabet, le « geste » précis, dans la cuisine tout comme dans la coiffure, ressemble à de la sculpture avec deux outils proches. « Dans l’un, ce sont des ciseaux, dans l’autre, un couteau… »

Car, avant de finir en cuisine(s), même de passage pour des stages, des ateliers de travail ou plus chez les étoilés Ghislaine Arabian, Cédric Grolet, Christophe Michalak, Alan Geaam ou encore Akram Benallal, celle que l’on surnomme aujourd’hui The Chef With the Hat, la chef au chapeau, a été styliste capillaire à Paris où elle est née et a vécu jusqu’à son retour définitif au Liban en 2020. « J’ai toujours aimé la cuisine, j’ai hésité et puis j’ai opté pour la coiffure… Quand je commence quelque chose, j’aime aller jusqu’au bout. » Cinq ans plus tard, elle décroche des diplômes pour devenir coiffeuse professionnelle, ouvrir son propre salon mais aussi enseigner. C’est (évidemment) par les podiums, les défilés des fashion weeks parisiennes qu’elle est attirée, après avoir travaillé dans les salons de grands figaros, parmi lesquels Alexandre de Paris ou Dessange. « J’aimais ce côté visuel et artistique du métier. Transformer une matière simple en quelque chose de beau. Un chignon peut devenir une œuvre d’art. Et puis, ce n’était jamais pareil en fonction du couturier ou des mannequins. Il fallait se renouveler tout le temps, inventer, créer. » Ce sont les coulisses des défilés, le côté plus sombre, superficiel et hectique, les journées sans fin, les nuits sans sommeil « et aucune place pour une vie privée » qui la feront quitter toute cette agitation à 30 ans, et rejoindre le murmure et la solitude des fourneaux.

Une création chocolatée de Chantal Tabet. Photo DR

L’art autrement

« Même quand j’étais dans la coiffure, je parlais tout le temps cuisine », confie-t-elle avec une timidité cachée derrière un look très personnel qui s’impose rapidement au regard. « Je testais des recettes, j’improvisais, il ne me manquait que la technique. » C’est à l’école Ferrandi qu’elle ira la chercher, cette technique. Qu’elle apprendra la précision dans la préparation et la présentation. Qu’elle soignera sa « signature », aujourd’hui reconnaissable par ses clients et ses presque 30 000 followers sur son compte Instagram chefchantaltabet. Il lui faudra du temps, des diplômes en cuisine (avec un 19,79/20 comme note technique) puis en pâtisserie pour s’imposer dans un monde très masculin. Il lui faudra des stages, des ateliers de travail, des passages dans des restaurants connus et l’occasion de montrer qu’elle sait aussi bien « qu’eux » gérer un lieu, des commandes, la salle, les cuisines, les stocks, le personnel, le temps. Il lui faudra enfin de la patience et de la passion pour creuser sa place. La sculpter… Chantal choisit alors la solitude et la liberté. Liberté d’être une cheffe privée, de monter des évènements, des dîners intimes, de donner des cours de cuisine, toujours entre Paris et Beyrouth. En 2017, elle ouvre avec son oncle, l’ancien pilote de rallye Jean-Pierre Nasrallah, le Hybrid Café Bar qui marche toujours, envers et contre le Covid-19 et la crise économique. Mais surtout, au moment où tous partent, elle choisit de rentrer définitivement au Liban il y a quelques mois.

Une création de Chantal Tabet. Photo DR

Souvenirs de France

« Je suis née à Paris, nous sommes rentrés au Liban puis repartis en raison de la guerre. J’ai toujours rêvé de revenir m’installer ici », confie-t-elle la voix basse, grave, le regard souligné d’un trait de khôl noir. Deux événements la marqueront et lui feront craindre la France, presque par superstition : « Quand j’avais 12 ans, je devais aller en classe de neige avec mes meilleurs amis. Ma mère a refusé que j’y participe. Toute la classe est décédée dans une avalanche. » Premier divorce émotionnel avec la France, première envie de s’arracher. Le second est aussi violent : « Ma maman y est morte en avril dernier du coronavirus, certainement le moment le plus difficile de ma vie. J’ai dû tout gérer seule, les choses pratiques et affectives. » Deux mois de quarantaine en solitaire plus tard, Chantal s’embarque pour Beyrouth. « Deux semaines m’ont suffi pour prendre la décision de rester », confie-t-elle. Elle rapatrie tout, si peu, ses objets précieux, ses guitares, ses chiens et ses souvenirs, les pires et les meilleurs, parmi lesquels sa participation à l’émission MBC « Top Chef Middle East 2020 ».

Chapeau !

« Cette expérience était exceptionnelle, même si je n’ai pas gagné », confie Chantal Tabet en tirant lentement sur sa cigarette. « Tant sur le plan des prestations que des rencontres avec des gens qui font à présent partie de ma vie. Nous avons vécu deux mois ensemble, sans contact avec le monde extérieur, sans téléphone. Ça a créé forcément des liens… » C’est là qu’elle sera baptisée The Chef With a Hat , un chapeau (ou une toque) qu’elle ne quitte jamais et qui devient un peu sa carte de visite. Tout chez cette chef atypique est visuel, saupoudré d’une espèce de poudre sucrée, caramélisée ou chocolatée qu’elle jette aux yeux des gourmands. « La cuisine permet de créer des saveurs, des émotions et des souvenirs. » Chacune de ses créations, qu’elle présente dans une mise en scène soignée sur son compte Instagram, est belle, car, dit-elle, « on mange d’abord avec les yeux ». Musicienne, interprète, peintre, « je sculpte sur la toile », le geste précis, à l’aide d’un couteau ou d’un pinceau à la main, revient encore… « La cuisine, dit-elle encore, est comme une mélodie, une histoire que l’on raconte avec des saveurs. » Ses tartes à la mangue, aux fraises, ses gâteaux au(x) chocolat(s), ses fleurs de concombre, ses figues et labné et ses forêts noires sont de purs moments de plaisir. À regarder et consommer sans modération.

Il suffit de la regarder pour saisir l’univers (artistique) qu’elle transporte avec elle et en elle d’un pays à l’autre, d’un métier à l’autre, d’un chapeau à l’autre. Comme une seconde peau, un tatouage de plus sur sa peau imprimée de moments, de couleurs et de souvenirs qui lui appartiennent. Pour Chantal Tabet, le « geste » précis, dans la cuisine tout comme…


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